Conférence pour les pédopsychiatres de l’API (Association des pédopsychiatres de secteur infanto-juvénile)
Je voudrais, en préambule, vous raconter rapidement deux réflexions entendues récemment et qui me semblent aller dans le sens de ce que je souhaite aborder aujourd’hui.
Premier versant : « on va soigner ses troubles du comportement et pour les apprentissages, on verra plus tard »
Deuxième versant : « Il n’y a que les apprentissages qui vont faire disparaître ses comportements négatifs, le reste, c’est du vent ! »
En 2004 et 2005, j’interviens dans une école d’Educateurs du Jeune Enfant et dans une école d’éducateurs spécialisés. Je rencontre les EJE quelques jours après leur diplôme final et je réalise que c’est la première fois qu’on leur parle d’autisme. Quant aux éducateurs spécialisés, je les vois à trois mois de leur diplôme, c’est à dire en janvier de cette année. Et en parlant avec eux, je réalise qu’ils sont tous en stage auprès d’enfants, adolescents et adultes ayant, pour certains, des troubles autistiques. Eux aussi n’avaient jamais eu la moindre formation sur l’autisme infantile.
L’organisme de formation continue qui me « propulse » un peu partout en France, me fait rencontrer des équipes qui n’ont eu aucune formation de base et sont très désemparées. La formation continue ne devrait pas être faite pour remplacer des modules sur l’autisme absents des études proposées aux médecins, aux para médicaux, psychologues, éducateurs, puéricultrices et, trop souvent encore, enseignants spécialisés. Elle devrait offrir une actualisation, une remise à jour de connaissances déjà acquises et ce n’est pas le cas la plupart du temps
Donc, formation à peu près inexistante et clivage encore beaucoup trop fréquent entre les tenants du tout psychanalytique et du tout éducatif. Ce clivage, cette toute puissance mettent les personnes autistes face à des difficultés extrêmes, je dirai presque qu’elles les condamnent à être comme amputées d’une partie d’elles mêmes.
C’est à une réflexion autour de ces clivages que je vous convie maintenant sous l’axe de trois questions qui restent majeures et s’imbriquent continuellement:
-
La relation avec les parents,
-
Le cloisonnement des informations
-
Le manque de formation et donc souvent de compétence concernant l’aspect psycho-cognitif et l’approche psycho-éducative de la pathologie autistique.
C’est-à-dire tout ce qui concerne la constante intrication entre communication, langage, apprentissages, affects et émotions. Tous ces aspects de la pathologie autistique sont, pour moi, du fait de cette intrication, à réfléchir et à travailler ensemble, simultanément et non pas successivement. Ce sera là l’essentiel de ce que je vais développer aujourd’hui.
Et dans cette perspective de simultanéité, je terminerai cette communication, par une réflexion autour de l’interaction entre compréhension, expérience, subjectivité et à fortiori, intersubjectivité.
-
Dans les équipes, qui se réclament encore d’une psychanalyse, dont, à mon avis, elles détournent le sens, il est de bon ton de dire qu’on ne peut pas travailler dans la promiscuité avec les parents. On ne les accuse plus d’être responsables de la pathologie de leur enfant mais ils ne sont pas impliqués dans le projet de soin. L’univers des enfants s’en trouve alors fractionné, clivé. Je dirai que tout l’univers familial s’en trouve malade.
-
Dans certaines équipes qui pratiquent de façon rigide les approches éducatives, il est de bon ton de nier la souffrance psychique des personnes autistes qu’elles ont en charge.
Les thérapeutes familiaux dont je suis, savent combien l’absence de restitution de l’information renforce l’éclatement du noyau familial. Or, comment un individu peut-il se construire un psychisme individuel s’il demeure dans un contexte familial sur lequel rien ne peut s’élaborer. Les personnes autistes sont anhistoriques, sans passé, sans aucune projection vers l’avenir. A nous de les aider à s’intégrer dans la réalité interne et externe de leur environnement familial. Tout cloisonnement d’une prise en charge est préjudiciable à une reprise de la communication dans des familles ou justement, l’enfant autiste vient briser toute tentative de communication.
Lorsqu’une équipe d’hôpital de jour ou d’IME n’a pas de contact ou très peu avec les parents, et avec le psychothérapeute de l’enfant. Lorsque celui-ci, l’orthophoniste, le psychomotricien, l’ergothérapeute, travaillent chacun dans leur coin sans qu’il y ait de retour de leurs observations et de leur pratique auprès de l’équipe soignante, éducative et des parents, comment faire des liens ? Et, comment ne pas penser que tous ces cloisonnements ne feront que renforcer les angoisses de morcellement de l’enfant, ses immenses difficultés à se repérer dans l’espace et dans le temps, son isolement, son incompréhension du monde environnant et son agrippement à des stéréotypies ou à des objets autistiques qui demeurent ses seuls points d’accrochage et de repère continus. …
Ne pas construire pour ces enfants, adolescents, adultes, un cadre psycho-éducatif, c’est, à mon sens, les condamner à ne pas pouvoir maîtriser au mieux, dans leur avenir, leurs difficultés de compréhension d’eux-mêmes et du monde environnant. En articulant ce qui a été travaillé de leurs émotions, de leurs angoisses en psychothérapie avec un programme éducatif qui sache tenir compte de tout cela (et malheureusement e n’est pas toujours le cas) c’est donner aux personnes autistes des atouts essentiels pour que se coordonnent, s’imbriquent, les apprentissages, les liens et la communication. Sans cette approche articulée, il leur sera beaucoup plus difficile d’élaborer une jonction entre l’intrapsychique et la réalité extérieure. Ils risquent de demeurer dans ce que j’appelle l’attention-sensation, à savoir, une incapacité à faire lien entre leurs sensations internes et leurs perceptions du monde extérieur. Dans cette triste perspective ou le sens n’émerge pas, comment ces enfants pourront-ils faire des relations de cause à effet et acquérir les processus de généralisation ?
Or, le sens est toujours à saisir sous son double éclairage logique et émotionnel.
Et ce double aspect du fonctionnement humain a été trop souvent nié par les doctrinaires, qu’ils soient du courant psychanalytique ou cognitiviste. La toute puissance des uns ou des autres est plus que néfaste pour les personnes autistes, elle relève, à mon sens de l’irrespect de la personne dans sa totalité
Le travail avec les parents
J’aborde maintenant le travail avec les parents, tel que je le conçois.
Dans la majorité des cas, le quotidien de ces enfants, c’est la famille.
C’est pourquoi, lorsque qu’ils ont commencé à me montrer leurs angoisses, leur détresse, leur incapacité à contrôler leurs émotions et certaines réactions, j’ai eu recours aux parents. J’ai pensé qu’ils pouvaient avoir eux aussi observé ces différents états psychiques et comportementaux ainsi que le contexte dans lequel ils avaient émergé et que leur aide me serait alors précieuse. Un véritable partenariat m’a très vite semblé indispensable.
C’est ainsi que je me suis mise à les rencontrer régulièrement, à les écouter, à réfléchir avec eux, à me rendre compte que lorsqu’ils étaient sollicités ils se révélaient avides de comprendre, posant de bonnes questions, réceptifs et heureux de chercher à trouver des réponses à leurs interrogations et aux miennes
Il était aussi très important pour eux de réaliser que je partageais les mêmes doutes, les mêmes questionnements, découragements, sensations d’être complètement vidée. Que parfois, pour moi, comme pour eux, leur enfant était une énigme et qu’en tout état de cause je ne chercherais en aucun cas à les disqualifier.
Bien entendu tout cela ne pouvait se construire que si un diagnostic leur avait été donné et qu’il avait été expliqué et discuté avec eux. Parfois, cela pouvait prendre beaucoup de temps mais ce n’est qu’ainsi que pouvait s’installer une véritable alliance thérapeutique, un partage des informations et une réflexion commune sur le projet à proposer à leur enfant
Il n’y a pas d’angélisme à faire, j’ai rencontré, comme vous, des parents très malades, violents, récalcitrants à venir me voir, des parents qui se révélaient fortement pathogènes et dont il fallait séparer les enfants mais je dirais qu’il s’agit là d’une minorité chez les parents d’enfants autistes. Je ne l’ai moi-même jamais rencontré.
Quant aux parents qui se démènent dans des difficultés sociales souvent énormes, si l’institution travaille en réseau et qu’ils se sentent soutenus, ils peuvent faire des efforts inouïs pour aider leur enfant. Même topo avec les barrières de langue, cela aussi peut se surmonter.
Nous avons également à répondre à la souffrance des fratries de ces enfants autistes qui se trouvent confrontées à des charges ou à des responsabilités trop lourdes, à des sentiments d’incompréhension, d’abandon ou de honte devant leurs amis, leur entourage.
Partant de tout cela, j’ai donc fait de la collaboration, du partenariat avec les parents, l’une des conditions à mes prises en charge psychothérapiques et, plus tard, à l’admission dans l’unité que j’ai créée pour de très jeunes enfants autistes.
Dans le cadre de cette unité, c’était même une sorte de contrat qui était proposé et expliqué aux parents et qu’ils avaient à respecter.
Je les voyais toutes les trois semaines, seuls. C’était un lieu d’écoute ou tout pouvait être abordé: leur souffrance, leur culpabilité, leur haine parfois, leur épuisement, leurs détresses de couple ou familiales, leur sentiment d’isolation, d’abandon et toutes les questions qu’ils se posaient par rapport à une articulation entre notre prise en charge et ce qui se passait à la maison. Bien entendu ces entretiens réguliers n’excluaient pas les rencontres parents enfants, voire même dans certains cas des thérapies familiales. Dans bien des situations j’ai eu à travailler avec la famille élargie.
Lorsque la confiance était suffisamment établie nous pouvions quand cela semblait nécessaire, leur proposer des visites à domicile pour les aider à organiser le meilleur cadre possible pour leur enfant. L’orthophoniste, le psychomotricien ou le psychothérapeute et les parents se rencontraient à la demande des uns ou des autres et entre ces intervenants en ambulatoire et l’équipe soignante il y avait des réunions hebdomadaires.
Autre condition d’accueil de l’enfant, nous demandions aux parents qu’ils fassent eux-mêmes (ou l’un ou l’autre), un accompagnement minimum par semaine pour rencontrer l’équipe de soin. Le cahier de liaison c’est bien, c’est même indispensable, mais pouvoir se parler, mettre des mots, poser des questions sur le vif, repérer tout ce qui est de l’ordre de l’infra verbal, c’est important. Les parents trouvaient, au début, ces propositions très lourdes à gérer (et c’est vrai!) mais assez vite ils mesuraient l’importance de leur contribution au projet de soin.
Pour moi, le soin recouvre l’ensemble de la prise en charge d’un enfant, qu’il s’agisse de l’éducation, de la socialisation, de la communication, des apprentissages et d’une approche intensive de leur vécu psychique.
Au fond, j’entends le mot soin dans le sens que lui donnent les parents lorsqu’ils « prennent soin » de leur enfant. Ils le font dans tous les domaines. Ce terme recouvre pour eux un accompagnement global, un accompagnement qui va de la santé physique et mentale à la santé psychique et je crois que nous avons à être capables de proposer nous aussi, pour les personnes autistes, un accueil qui participe de cette même optique, c’est-à-dire qui sache prendre en compte leur totalité.
Le décloisonnement des informations
Je vais maintenant aborder la nécessité impérieuse du décloisonnement de l’information et l’importance du réseau de soin:
Le réseau de soins, concerne toute personne qui approche l’enfant: les parents, les professionnels de l’institution, le secteur si nécessaire, le scolaire, lorsqu’il y a une intégration progressive et les lieux d’activités ludiques ou sportives. Cela ne suppose pas, bien sur, que l’on se réunisse à tout bout de champ mais cela signifie que chacun soit informé des complémentarités qui s’articulent autour de sa propre prise en charge, de ses propres compétences et responsabilités. Ce n’est pas facile, il faut être vigilant à ne pas passer de l’harmonie à la cacophonie mais ce n’est qu’à ce prix qu’un projet structuré, individualisé, cohérent peut se mettre en place.
Il y a donc un véritable travail de réseau à réfléchir et à organiser très précocement. Il doit être présent dès les hypothèses diagnostiques. Un bon diagnostic doit se faire en complémentarité. Doivent y participer : les personnes qui ont pratiqué les évaluations cognitives (CARS, VINELAND, PEP-r), et les évaluations projectives lorsque l’enfant est dans une ébauche de langage et de communication, l’orthophoniste, le psychomotricien, le psychothérapeute (s’il y a déjà une prise en charge psychanalytique) et un membre du personnel éducatif (éducateur, infirmier) et scolaire (l’instituteur…)
La vidéo permet maintenant pour certaines évaluations une double lecture très riche en informations à la fois cognitives, émotionnelles et affectives. Je pense en particulier au PEP-r et à la grille de Geneviève Haag, concernant le Moi corporel.
Encore une fois il s’agit de prendre en compte la totalité des capacités et difficultés d la personne avec autisme. Comme toutes autres personnes, l’autiste sera différent selon le lieu d’accueil, les activités proposées et la personne qui les propose. Tout ceci est à entendre et à prendre en compte . Le travail en réseau est également très important lorsqu’un enfant change de lieu d’accueil. S’il n’y a pas connaissance par la nouvelle équipe, de ce qui a été proposé à l’enfant dans l’établissement qu’il quitte et si cette nouvelle équipe travaille avec lui sur d’autres bases, on assiste à des régressions extrêmement importantes, voire catastrophiques.
J’ai le souvenir d’une petite fille qui a quitté notre établissement, le père étant nommé en province. Elle avait bénéficié d’une approche éducative TEACCH articulée avec des temps de psychomotricité, de psychothérapie et d’orthophonie. Bien que très atteinte, elle était devenue assez autonome. La nouvelle équipe n’a jamais pris contact avec nous et n’a plus rien proposé d’éducatif à cette enfant. En quelques mois, elle a régressé de façon spectaculaire: plus de pointage, plus d’autonomie sphinctérienne, ni alimentaire ni vestimentaire, et des crises de colère aiguës.
Comment peuvent émerger chez ces enfants, la communication, la reconnaissance de soi et de l’autre si nous même ne sommes pas capables de leur proposer un réseau de liens qui les contienne et soit, pendant longtemps, comme une véritable prothèse de colonne vertébrale.
L’approche psycho-éducative
3ème point: l’approche psycho-éducative que je vais aborder, pour commencer sous l’axe du langage et de la communication.
Très vite, je me suis posé beaucoup de questions. Pourquoi lorsque je parlais à ces enfants se bouchaient-ils fréquemment les oreilles, les yeux ou se mettaient-ils à tourner sur eux-mêmes comme pour m’évacuer. Etaient-ils persécutés par mon discours, mes commentaires, mes interprétations? Dans un premier temps je me suis dit que j’étais intrusive, que tout ce que je pouvais faire ou dire ou tenter de créer entre eux et moi leur donnait un sentiment de danger parce que cela venait trouer leur carapace et les rendait plus fragiles par rapport aux agressions du monde extérieur. Par la suite je me suis demandé si l’agression produite par mon discours ne venait pas aussi du fait qu’ils ne comprenaient pas bien ou pour certains, pas du tout ce que je leur disais ? Alors, j’ai fait des phrases très courtes, j’ai accompagné ce que je disais avec des gestes, j’ai beaucoup mis en scène ma voix, mon corps et, il m’a semblé que ce mode relationnel plus « bébé » leur convenait mieux. J’avais l’impression qu’ils avaient moins peur et que la communication passait davantage. Mais la question restait entière: que comprenaient-ils et qu’est ce qui pouvait être tenté pour qu’il leur soit plus facile de se faire comprendre eux-mêmes ?
De fil en aiguille je me suis dit qu’il me fallait mieux connaître leurs difficultés cognitives On commençait tout juste à parler des stratégies éducatives venues des pays anglo-saxons (c’était il y a 25 ans) et j’ai décidé d’aller voir ce qu’il en était parce que j’avais le sentiment que toute une partie des difficultés de ces enfants était laissée en friche.
J’ai donc fait des formations aux évaluations : PEP-r CARS, VINELAND, aux stratégies éducatives : TEACCH et à celles qui concernent la communication alternative au langage : PECS et Makaton.
J’ai toujours continué à travailler comme psychanalyste en privilégiant dans mon approche l’aspect psychodynamique des difficultés des enfants et de leurs familles. Il s’agit de donner un sens à leur vécu corporel, émotionnel et fantasmatique en y mettant des mots, des images et en leur montrant combien notre relation avec eux mobilise en nous d’émotions fortes. Et chez bien des enfants autistes c’est l’expression de nos propres émotions qui permet qu’émerge en eux, de façon au début spéculaire, leur propre ressenti émotionnel.
J’ai insisté auprès des orthophonistes, psychomotriciens et éducateurs pour qu’ils se forment à ces stratégies éducatives et aux évaluations. Non pas pour que tout le monde fasse la même chose, se fonde dans le même moule mais pour que soit mieux appréciée et repérée l’association, l’articulation entre les difficultés cognitives et psychiques. C’est comme ça que nous avons pu commencer à faire des projets individualisés dans lesquels se retrouvaient des temps éducatifs, individuels et de groupe et des suivis ambulatoires.
Pourquoi des projets très individualisés: Il faut tenir compte du fait que chacun de ces enfants a des capacités sensorielles différentes et toujours non-intriquées. Il en est de même pour leurs perceptions. Ils ont en général un sens dominant: la vision ou l’audition ou le gustatif ou le toucher, mais rien ne s’articule, c’est un cloisonnement de plus et ces difficultés sensorielles sont renforcées largement par leurs angoisses.
Il faut tenir compte également du fait qu’ils sont très dysharmoniques quant à leurs capacités d’apprentissage. Cela pourra se faire en privilégiant l’imitation, ou la motricité, ou la perception, mais, encore une fois, rien ne se relie, rien ne s’articule et c’est là l’une des raisons principales de leur incapacité à faire des relations de cause à effet et de généralisation. J’évoque là tout ce qui concerne leurs extrêmes difficultés quant à l’intermodalité.
À partir du moment où j’ai fait ces formations éducatives j’ai donc été confortée dans l’idée qu’il me fallait articuler mon approche psycho-dynamique avec leur vécu au quotidien. Je me suis attachée à essayer de comprendre comment et en quoi leur fantasmatique, leurs émotions pouvaient aider ou nuire souvent gravement à leurs expériences vice-versa. J’ai travaillé avec les équipes, l’école, les lieux d’accueil sportif ou ludique et, bien entendu, les parents.
D’où l’importance de la mise en œuvre d’un projet psycho-éducatif dans lequel on sache repérer en quoi l’éducatif peut soutenir l’autonomie ou des apprentissages plus évolués et en quoi la psychothérapie, mais aussi l’orthophonie et la psychomotricité peuvent se situer en interface avec ces approches éducatives. Ceci dans la perspective d’amener ces enfants vers plus de compréhension de subjectivité et d’intersubjectivité.
Compréhension, subjectivité et intersubjectivité
J’aborde maintenant ma dernière ligne droite par une question majeure concernant la pathologie psycho-cognitive du ou des autismes à savoir: peut-il y avoir subjectivité, interpersonnalité, intersubjectivité sans compréhension ou le contraire? Je ne le crois pas parce que je pense qu’elles sont consubstantielles les unes des autre
Selon le Larousse, la compréhension, est une action, une possibilité, une faculté de comprendre. Cela suppose que chez le jeune enfant il y ait eu toute une série d’expérimentations qui petit à petit viennent confirmer ou infirmer ce que ses premières perceptions lui ont permis d’appréhender. C’est ainsi que se forgera sa compréhension progressive de l’interaction entre les objets, les situations, les autres et lui-même. Mais tout cela ne pourra se faire que s’il est capable d’intégrer ce que son environnement maternant lui propose comme aide à une inscription de ses découvertes dans une chaîne signifiante. Il s’agit là bien sur de la fonction alpha décrite par Bion .La mère, le père, l’environnement maternant viennent donner sens à des perceptions, à des sensations parfois très angoissantes parce que non reliées entre elles, ce que Bion appelle les « éléments bêta. » Or, justement l’enfant autiste n’est pas capable de bénéficier de cette fonction alpha maternante et il demeure dans un magma sensoriel ou rien ne lui est compréhensible.
Le psychologue Daniel Stern disait, dans un congrès: « La mise en mots accentue, intensifie, théâtralise certains éléments de l’expérience. » Mais quand il n’y a pas le mot pour dire et comprendre, comment apprendre à penser une expérience?
En ce qui concerne l’intersubjectivité, je citerai Albert Ciccone : « La notion d’intersubjectivité a un double sens. Elle désigne à la fois ce qui sépare, ce qui crée un écart, et ce qui est commun, ce qui articule deux ou plusieurs subjectivités. L’intersubjectivité est à la fois ce qui fait tenir ensemble et ce qui conflictualise les espaces des sujets en lien. »
Il situe dans l’intersubjectivité les origines de la pensée. Pour Bion, la pensée naît d’une conjonction entre une préconception et sa réalisation. Il dit aussi que le sens naît de l’émotionnalité. Donc: si les origines de la pensée se situent dans l’intersubjectivité, dans la conjonction entre préconception et réalisation, dans l’articulation entre sens et l’émotionnalité, on voit bien, comment rentrent en résonance, la compréhension et l’émergence de la subjectivité, de l’interpersonnel et de l’intersubjectivité
Communication et compréhension sont indissociables. Elles sont complètement dépendantes l’une de l’autre et ne peuvent exister l’une sans l’autre. Alors, comment est-ce que tout cela va se faire ? Et pourquoi est ce que, chez l’enfant autiste cette conjonction n’émerge pas naturellement? Pourquoi lui faut-il une aide aussi intensive ?
La plupart des auteurs conviennent aujourd’hui que nous possédons en nous des capacités innées à nous intégrer dans le monde des vivants. (Je vous renvoie entre autres, à ce que Daniel Stern appelle le schéma d’intention et les sens du soi.)
Dans mon dernier livre, je parle des agrippements primaires qui me semblent faire défaut ou tout au moins être en grande difficulté d’émergence chez le bébé autiste. Lorsque les premières passerelles entre le vécu intra-utérin et le monde extérieur sont inexistantes, c’est, je crois, toutes les bases de notre subjectivité et de notre compréhension du monde extérieur qui ferons défaut. Si le bébé s’introduit dans ce monde extérieur sans aucun repère, sans que rien ne lui « parle », il va demeurer dans ce que Bion appelle une « terreur sans nom », terreur que l’environnement maternant ne pourra pas secourir parce que rien ne permettra à ce bébé et à ses parents d’entrer en lien.
C’est alors qu’apparaît tout ce qu’Esther Bick nous a montré d’une relation adhésive, le collage à une paroi plane et sans dimension interne de part et d’autre.
Compréhension, subjectivité et intersubjectivité ne pourront devenir complémentaires. Elles vont se heurter à ce collage, à ce manque d’espace intermédiaire et de profondeur. Il va y avoir une incapacité majeure à la compréhension de soi et donc de l’autre.
Conclusion
Bien que nous observions une grande inégalité d’évolution chez ces enfants et que de plus en plus les recherches génétiques et l’imagerie cérébrale s’orientent vers des origines plus ou moins articulées entre l’autisme et les déficiences mentales, il n’en reste pas moins que quelque soit leur degré d’atteinte, tous peuvent évoluer vers plus d’autonomie si on leur donne des outils leur permettant de le faire. Et si, en même temps, on leur prête nos propres émotions pour que les leurs prennent sens. Mais je crois qu’il faut nous garder d’une pensée magique dans laquelle une approche unilatérale se suffirait à elle-même.
Parler, montrer, articuler les apprentissages et l’approche psychanalytique permet à certains de ces enfants d’évoluer vers une émergence de l’intersubjectivité, et en tout cas vers de l’interpersonnel dans le sens que lui donne Daniel Widlocher, à savoir « moi qui te parle je te dis ceci et toi qui me parle tu me dis cela ». C’est déjà beaucoup même si c’est peu par rapport à l’intersubjectivité telle que Widlocher la définit « ce qui se pense dans la pensée de l’un est en écho de la pensée de l’autre. »
Beaucoup des personnes autistes n’atteignent pas le registre de la pensée symbolique et toutes restent farouchement accrochées à la concrétude, mais il est impératif que la relation à l’autre leur devienne absolument nécessaire. Nécessaire pour demander, obtenir, exécuter, partager, nécessaire pour se faire comprendre, comprendre les bénéfices de l’attention conjointe et donc communiquer. Voilà pourquoi nous avons à conjuguer nos approches.
L’autisme, les autismes sans doute, ne se définissent pas exclusivement par un trouble de la communication. Il est toujours présent, mais il est surtout l’expression d’une difficulté bien plus profonde à pouvoir se constituer comme sujet.
Le travail du psychanalyste est de prêter à l’enfant autiste son appareil psychique pour soutenir le trajet qu’il doit faire afin de traiter les informations sensorielles et émotionnelles dont il est bombardé, sensations tant extérieures qu’intérieures, sensations auxquelles il ne comprend rien.
Ce qui intéresse les éducateurs c’est de suppléer aux carences et aux défaillances de la communication, de la compréhension du cadre et de la compréhension verbale par des outils imagés ou gestuels. Il s’agit de proposer du substitutif à des enfants qui n’ont pas (ou pas encore) d’accès au langage et à la compréhension du langage. Des enfants qui également n’ont pas accès au rapport entre les objets, leurs images et les mots qui les nomment (donner un exemple)
Le support visuel est un signe bidirectionnel, au sens où Ferdinand de Saussure indique que la propriété fondamentale de la communication normale réside dans la capacité d’un locuteur et d’un auditeur d’inverser les rôles.
Par rapport au langage oral, le support visuel présente l’énorme avantage pour l’enfant autiste de ne pas disparaître aussitôt émis. Le mot dit se dilue dans les sons, tandis que la carte concrète reste.
Le geste est tout aussi important. C’est un outil de base pour faire émerger l’imitation si souvent absente chez les personnes autistes. Le travail éducatif va les aider à mettre du sens sur ce qui n’en avait pas dans leur relation aux objets, aux personnes et au cadre. Bien entendu, tout ceci doit s’accompagner de la parole, elle ne doit jamais être absente.
Les autistes sont coincés dans des repères existentiels qui nous échappent. Je crois aujourd’hui que l’immuabilité du cadre et des objets les rassure beaucoup plus que la personne humaine, qui, elle est fluctuante. D’où leur angoisse quand quelque chose bouge ou se transforme
Je laisserai à Jean Piaget, le mot de la fin : « il viendra un jour où la psychologie des fonctions cognitives et la psychanalyse seront obligées de se fusionner en une théorie générale qui les améliorera toutes deux en les corrigeant l’une et l’autre » 1972 in Les problèmes de psychologie génétique.